Il n’est pas toujours facile de parler de ses anciens maîtres, même pour leur rendre hommage. Surtout si ces maîtres ont placé la barre très haut. Et c’est le cas de Jacques Chessex, pour moi.
Mais, en plus, comment en parler dans le contexte de notre combat actuel dans les gymnases, apparemment focalisé autour d’une basse question de salaire?
Oui, vous l’avez compris, pour nous c’est de liberté d’expression et d’estime de soi qu’il s’agit surtout, en fait. Aussi une question d’honneur dans ce monde qui bientôt n’en aura plus, peut-être : les nouveaux maîtres de gymnase ne sont pas inférieurs à leurs devanciers, l’Etat n’a pas le droit de le leur signifier en réduisant publiquement leur statut et en les soumettant au contrôle de plus en plus tatillon d’une administration ubuesque qui leur est étrangère et les aliène.
Revenons donc à Jacques Chessex et à son dernier texte, « Un Juif pour l’exemple ». Oui, Jacques Chessex n’est pas venu défiler dans les rues avec nous, oui… Pourtant, à l’instar du « Juif Romain Gary» (pour utiliser une formulation chère à l’ennemi et que nous haïssons…), le « vieil écrivain» (comme il se désigne lui-même à la fin de son texte) sait que ses livres manifestent à sa place dans les combats qui nous sont les plus chers : la dénonciation de l’oppression sous toutes ses formes, la lutte contre le règne de la bêtise et du meurtre alliés au racisme barbare et qui toujours, partout, à Payerne (le récit de Jacques Chessex s’y déroule) comme ailleurs, se cherchent un bouc émissaire, une victime innocente et droite pour assouvir sa vengeance démoniaque. Et le dernier livre de Jacques, remémorant et rendant présent à nos yeux l’horrible assassinat d’Arthur Bloch en 1942 à Payerne par des activistes nazis, en pleine terre vaudoise riante et bonasse, dit la permanence menaçante des mêmes démons d’hier et d’aujourd’hui (de toujours…) au milieu de nos consciences vite endormies et, hélas, oublieuses de l’obscur comme de la vraie lumière – il nous rappelle ainsi que la veille n’est pas terminée…
Merci, Jacques, le message est bien reçu… À l’instar de certain juge espagnol qui veut rouvrir les fosses des assassinés de Francisco Franco, tu es ordonnateur de la grande remontée des cendres. Au Jugement tous paraîtront.
Salut à toi, poète…
Philippe Leignel